mardi 27 décembre 2011

La ville et le vide VIII

Il est un pont dans la ville alanguie où de funèbres funambules déambulent d'un pas funeste, les yeux au sol, les lèvres serrées. C'est un lieu comme il en existe dans chaque cité, un lieu gravide, que l'espoir ignore. Peuplé de soupirs durs, perclus de rêves brisés, un purgatoire d'anxiété, qui flambe sur l'horizon comme un feu froid, un phare à l'envers, une serre d'errances maladroites et pathétiques. Ceux qui y vont, le font seuls, au détriment des autres, d'eux-mêmes. Se dépouiller de toute espérance et de toute volonté de vivre est leur choix. La ville leur oppose barrières, policiers, plexiglass. La ville leur impose solitude, misère, injustice.
Plus cruelle que la mer, plus vicieuse que le poison, d'une griffe elle reprend ce que des lèvres elle avait promis.

vendredi 9 décembre 2011

La ville et le labyrinthe II

De l'ombre portée du bitume au sable épuisé des dunes, du sol maculé à l'opacité sereine de l'océan, de la vague sans mémoire aux toits ogivaux oubliés du temps, de l'argile des visages à la moire des corps, de l'or souillé de crachats indignes à la friture bénie des échoppes fumantes, des solitudes de lampadaires pensifs aux fourmilières de néons et paillettes élimées, du sortilège à l'esbroufe, du dédain à l'émoi, des foetus de lama aux cabines internet, du net aperçu des falaises à la brume rideaux sans fin, de la faim aux moyens, de la misère aux cuivres, des livres aux ordures, du pur au dégoût, du goût à l'obscène, des scènes au silence, la ville parade, se parodie s'image se mirage sans jamais cesser d'être en devenir un chantier de chair, de désirs, qui n'ignore aucun de ses enfants pour mieux les dévorer, les faire siens, laissant aux écueils célestes le dessein de choisir ceux qui pourront mastiquer son essence sublime et des cendres de leurs certitudes reconnaître enfin, sous les masques et les voiles, la ville alanguie.

lundi 28 novembre 2011

La ville et le labyrinthe I

Celui qui cherche à posséder la ville la verra se dérober à lui s'éloigner sans cesse. Il épinglera des rues, des lieux et des visages, bientôt des rires, des baisers et des larmes. Il établira des frontières, des détours, cherchant à ne pas oublier un lieu ou un autre, à se libérer du fardeau de l'ignorance.
Dans sa lutte effrénée, il ne sentira pas la pâte de ville, sa poussière impalpable lentement le gagner, s'infiltrer par chacun de ses pores, parant sa peau du vert pacifique, son haleine de mangue et ses fredonnements de cuivres et de trompettes. Il ne sentira pas, lentement ses voisins de pallier pénétrer dans sa vie, ni les sourires des commerçants, la familiarité du conducteur du bus se frayer un chemin dans sa mémoire, goutte à goutte, synapse après synapse envahir avec l'inexorable de l'oxydation, son esprit, le changer et brouiller à jamais les frontières établies avec la ville alanguie.
De conquérant, il deviendra un habitant de plus, un être entaché d'humanités qui le prolongent autant qu'elles l'asservissent, lui ôtant à jamais l'impression d'avoir vaincu une cité, elle qui le malaxe et le colore à chacun de ses souffles.

vendredi 7 octobre 2011

La ville et les symboles VI

Lorsque s'amoncellent les nuages sur la ville alanguie, la lumière, elle s'accumule sur les points faibles du gris monochrome, comme autant de goutte de feu, de lave languide. Elle sourd, humide, coule lentement dense, s'infiltre par les défauts de la trame et entache de couleurs les angles bénis de hasard, enflammés de rouges et d'ors sans concession. L'obscurité qui environne ces fragments lumineux se fait avide et des traits d'ombre s'efforcent inlassablement d'emporter ces fruits onctueux, de les diviser, de les perdre.
Parfois, cette lumière vient à croiser un visage, une chevelure, transfigurant le charbon en diamant, l'argile en carmin, le jais en pourpre. Le contraste de ce crépuscule enflammé suscite une terreur sacrée, celle de contempler la fin d'un monde, la chute d'une Rome.
L'obscurité finit toujours par gagner car éternellement elle devancera la lumière. Elle s'élève en flots tumultueux et muets, engloutissant les derniers phares d'une Atlantide à l'abandon. S'élèvent alors de la ville des cierges de néon, des couronnes de luminaires, des lampions de phares, qui peignent le gris métal céleste de la phosphorescence funèbre des lucioles.

jeudi 15 septembre 2011

la ville et les masques VII

Un: le crissement d'un pneu, contrepoint à la mélodie du bitume. Deux: un choc mou. Trois: une portière claque, féroce mâchoire de colère. Les acteurs sont connus. Chacun sait sa part. Le choeur des ingénus discourt: pléthore d'yeux levés au ciel, myriade d'aride ressentiment général. L'intrigue est en place et sur le sol, la tâche qui s'étale a les contours vermeils d'une réclame pour les soldes. D'autres accompagnent la scène et du lointain balcon une vieille dame digne joue son rôle silencieux. L'Autorité arrive, bedonnante, à temps pour rehausser le banal de la tragédie. Au parterre, l'effet Doppler s'enfle, fait écho, fait les choux gras, fait diversion du protagoniste principal, qui en silence, s'acquitte besogneusement de sa fonction de gisant. Le corbillard, blanc et rouge clôt du rideau de sa sirène la piécette en un acte. Déjà, les personnages, en quête d'auteur s'éloignent, emportés par la ville. Que ceux qui ont loupé ce mystère ne craignent rien: nul ne se lasse jamais de le représenter.

mardi 23 août 2011

la ville et les masques VI

L'hiver est une vague qui harasse sans cesse les carrefours de la ville. Pâteuse, elle enfle, déborde les toits, se colle au ciel, tenace, comme la nicotine sur les dents d'un vieux fumeur. Pourtant, la métropole ne lui cède le terrain qu'aux prix de luttes titanesques: chaque ruelle est un Iéna, chaque trottoir un Waterloo où des lots de fleurs citadines râlent dans le tonnerre des klaxons insanes. Le crépuscule hivernal caracole tandis que face à ses lances d'embruns translucides, une cité s'arc-boute de ses couleurs les plus criardes, les plus ferventes, les plus fiévreuses,les plus désespérées.
Las, le ciel avare emporte son éclat, laissant la cité baigner dans le sépia d'une vieille morgue. Jusqu'au premier taxi, qui explose de musique, de cuivres, d'humanité, enfin, sous le sourcil froncé d'un Pacifique vert de gris. Oui, dans la ville alanguie, lorsque les couleurs s'enfuient, défaites par le glauque crépuscule, elles se réfugient dans la musique; dans chaque radio, dans chaque échoppe, dans chaque cantine, attendant au chaud des ondes, les lendemains qui chantent.

jeudi 11 août 2011

la ville et le vide VII

Il n'y a que les mots.
Pour décrire la ville alanguie, il faudrait éructer le sang, la sueur, les larmes, la poussière, les peintures criardes. Pour la toucher du doigt, le rance, le vif, l'humide, l'invincible parfum des bougainvilliers. Celui qui s'attaque à la cité, l'effrite de ses mots mâchonnés, heurtés se sait vaincu. Culbuté par les trente mille portes et les douze mille orifices d'un organisme immortel, que le chaos des sentiments finit par rendre brouet divin. Armé d'une seule plume,immergé dans le fleuve de couleurs, d'odeurs, de peaux et de vies, l'échec est la seule échappatoire.
Cela ou la lucidité divine que d'aucuns nomment folie.
Pourtant l'errant qui s'imprègne des parfums faits myriades, des joies faites légions n'a pas d'autre choix.
Il n'y a que les mots.

mercredi 3 août 2011

la ville et les symboles V

Celui qui s'éloigne par la terre de la cité devra se débattre longtemps avant de savoir s'il a quitté ses longues rues poussiéreuses et sa nation de vendeurs effrénés. Plus il s'enfoncera dans le désert d'ocre et de gris qui sert à la ville d'écrin plus il aura l'impression de revenir sur ses pas. Les façades mangées par la mer, les regards perdus, les trottoirs habités, les lumières maladives des lampadaires dans la pénombre, tout semble se répéter et se confondre, formant un ennuyeux cauchemar.
Les panneaux mensongers et les indications autochtones et perverses conspirent afin d'empêcher la velléité d'une fuite. L'errant devra traverser chacun des voiles que la ville éparse érigera en mirages pour l'empêcher de la quitter, affronter la conspiration de miroirs absurdes et la litanie de bitume qui, de détours d'autoroute en havres minables, tentera de le retenir.
Celui qui parviendra jusqu'aux portes lointaines sans se retourner, abandonnant les hurlements de la foule, les gémissements des taxis, la chicane des bradeurs de pacotille verra le vrai désert, stérile et pensif, fuyant devant lui jusqu'à l'horizon enténébré.

mardi 19 juillet 2011

La ville et les odeurs III

Dans certaine petite impasse du centre ville, se dissimule, sous l'apparence benoîte d'un restaurant chinois, l'un des temples de la saveur d'une ville pourtant riche en senteurs de qualité. Ceux qui traversent la rue sous le vent seront tout de suite avertis de l'odeur de viande grillée, d'épices et de gingembre caramélisé. Dans une débauche de désordre, au milieu d'une explosion de tables d'un mauvais marbre synthétique, se tient un vieil homme qui ne parle qu'un mandarin incompréhensible. Depuis de longues années déjà, il a décidé que parler n'était pas le meilleur moyen de se faire comprendre. Lui, son langage, ce sont la friture, la cuisson, le soja. Véritable linguiste, il se fait comprendre de tous, riches, pauvres, exilés, natifs, pressés ou paresseux.
Les nuages blancs qui naissent de ses fourneaux sont de vapeur et d'huile de sésame et on dit qu'un phénix se dissimule dans l'éclat des flammes de ses nouilles sautées . Jamais aucun service d'hygiène n'est parvenu jusqu'au saint des saints, mais beaucoup sont ceux qui prétendent qu'un jour, on y a entrevu l'éclat doré des écailles d'un dragon. Parfois, le vieil homme chante, des chansons qui ne sont pas de cette terre, au rythme des échauffourées de casseroles et du grondement sourd des clients. Il fredonne les chants d'une terre qui l'a vu naître et qu'il ne reverra que les yeux clos par le songe ou la mort.

lundi 4 juillet 2011

La ville et la peur III

Celui qui marche dans la ville alanguie doit garder patience et bien souvent courage. Ainsi lorsqu'il déambule, il appartient à une espèce fort rare et qui compte, comme toute espèce, ses prédateurs. L'ombre des masures oubliées par le temps, les ténèbres épaisses d'une cour intérieure, la pénombre opaque des arbres gauchis par le vent, tout cela est leur habitat. Marcher là,c'est risquer de voir un sourire sur un masque de misère, un rictus aux dents proéminentes et avides, dont la douleur est trop profonde, trop vivace, trop ancienne, pour être jugulée par la raison. Fuir, ou se défaire de ses possessions, car la lutte est inutile. Nul ne peut se battre contre le désespoir épaissi de rancunes et d'envie.

lundi 27 juin 2011

La ville et le vide VI

Celui qui retourne sur les allées humides de la ville alanguie retracera des chemins parcourus, des routes empruntées, des blague éculées, des insanités quotidiennes. Parfois, dans le silence bouillonnant de la ville infinie, il caressera des doigts l'empreinte ténue des jours passés.
D'aucuns considèrent être à l'abri de la folie, d'aucuns l'affirment avec le péremptoire de l'incertitude.
Cette démence est celle qui pousse à chercher, dans une irrémédiable conspiration de miroirs, des sourires connus, des gestes compris, des âmes aimées, dans le chaos d'un lieu et d'un temps distincts de ceux qui ont connus ces traces diffuses d'affection.
Dans la lie et le parfum d'un ailleurs, cette recherche irrévocable est celle qui tatoue, à l'aide de la douleur précise des absences, la certitude d'aimer.

vendredi 13 mai 2011

la ville et les symboles IV

Le mitan de la cité est brodé d'une théorie de ruines. Grouillantes fourmilières insomniaques, elles ne connaissent ni repos, ni silence. Inondées sans cesse de plastique criard, rose, jaune, vert, elles répandent à travers la ville des ustensiles indispensables. Là, le curieux pourra obtenir tout ce qu'il désire, s'il sait garder une main sur ses valeurs et un moyen pour se guider à travers les galeries, les dédales d'escaliers, les grottes suspendues éclairées de néons bourdonnants. Une théorie de portefaix, une confrérie de coiffeurs, une guilde de marchands de camelote. Le grand marché bat, coeur de polystyrène et de pacotille, diffusant couleurs et sons dans chacune des artères de la ville. Le guérisseur y côtoie l'informaticien, les poulets fraîchement égorgés les ballons d'anniversaire. Les façades rongées par le temps, résignées de crasse, contemplent dédaigneusement les manades qui les envahissent sans cesse. Là, un écrivain public se cure le nez sous un porche qui a connu les colonies, tandis qu'un vendeur de beignets harangue allégrement sous les arcades de, ce qui un jour, fût peut-être un palais.
Le centre se nie au changement, comme il se moque de son passé, de son futur, de son maintenant. Il est et ne connaîtra sa fin que lorsque les hommes auront perdu goût au marchandage et à l'échange. Certains prétendent que le jour de l'apocalypse, on y vendra des tickets d'entrée pour le paradis.
A moitié prix.

vendredi 15 avril 2011

La ville et les symboles III

Sur la grisaille densifiée que sont les veines de la ville, vrombissent d'absurdes machineries, baroques et criardes, transportant les visages congestionnées des foules laborieuses. Chacun de ces véhicules est unique, chacun d'eux porte des stigmates d'espérance et d'humour. L'un d'eux entonne " à ma mère, par toi, pour toi" un autre " tu es peut-être rapide mais t'es quand même deuxième" et l'inévitable " protège-moi Seigneur" avec toutes ses déclinaisons syncrétiques et régionales.
Ces fragments décrépits d'un carnaval quotidien choquent, détonnent, abusent de leurs droits de folie dans le grand cirque éternel des rues de la cité.
Clowns déments d'une parade hallucinée, ils provoquent le rire, la colère, l'exaspération mais portent en eux, entre les bougies qui coulent et le moteur essoufflé, une parcelle de l'âme citadine.

lundi 11 avril 2011

La ville et la peur II

Les marées humaines qui tordent et détendent la texture de la cité emportent bien souvent d'étranges visages aux âmes sombres, ourlées de ternes rêves, de monotones insanités.
Le courant les roule, les anime et ils flottent, pantins hagards aux yeux creux,cherchant leurs rêves à tâtons, de leurs tristes griffes. Leurs regards ne sont rien d'autre que des meurtrières sur l'enfer, dont la porte s'entrebâille parfois. Limon sordide qui s'agglutine dans les ombres épaisses qui les brise, tôt ou tard de sa houle sardonique.
Il ne subsiste alors d'eux que de tragiques vestiges d'Icares échoués. Celui qui contemple ces anges déchus connaîtra le pitié, la compassion, le dégoût.
Il n'est pas impossible qu'il éprouve aussi de l'envie, pour les soleils dont leurs bras brûlés, dont leurs globes fatigués portent les invraisemblables cicatrices.

jeudi 7 avril 2011

La ville et le vide V

Il est dit de la ville alanguie, qu'elle n'est rien d'autre qu'un fruit tombé du jardin de l'éden, éclaté sur le sol aride, pastèque divine, répandant pulpes et graines, formant un dessin dont le dessein ne sera connu qu'à la fin des temps.
Le fruit ravagé, au bord du désert,aurait formé en se desséchant les fondations de la cité. Celle-ci, née de la fermentation, aurait l'âme d'une distillerie et la morale d'une catin ivre.
Celui qui s'éloigne du point d'impact et de la horde fourmillante qui y grouille, aura la satisfaction de voir s'éloigner la fureur, le bruit, l'humanité.
L'océan est là, infini, salé comme les larmes de Dieu, brûlant dans ses méandres les erreurs de l'homme et les errements de toute civilisation.
Il n'est nul besoin de sirènes. Les vagues et la promesse de l'oubli que recèlent leurs voix bruissantes suffisent à attirer celui qui est las de l'odeur entêtante de la terre.

jeudi 31 mars 2011

La ville et les masques V

Celui qui cherche une rue dans une ville inconnue doit s'armer de patience. Il est peut-être habitué à être renseigné suivant des plans, d'autres rues, la position des étoiles. Dans la ville alanguie, celui qui demande sa route doit être prudent. On lui posera autant de questions que lui en posera. On lui demandera d'où il vient, ce qu'il cherche, parfois on lui parlera de cuisine, de ses préférences politiques. Il est possible que le guide providentiel ne se révèle n'être qu'un imposteur, dénoncé par un autre passant.
Les indications ont leur propre code. Les points de repère seront des églises, des gratte-ciels, des châteaux d'eau, l'océan. Chaque ville possède un plan que tous peuvent voir, imprimé sur du papier et un autre, secret, qui n'est l'apanage que de ses habitants. Il est confus, formé de désirs et d'angoisses, d'axes inexplicables. Mystérieux et changeant, il est dit que celui qui en possédera chacun des fragments verra le visage de Dieu, mais peut-être n'est-ce là qu'une invention, encore une fois, l'invention d'un guide indigne de confiance.

lundi 28 mars 2011

La ville et le ciel I

Ils sont grands ou étiolés, à bout de forces. De la couleur du mercure. De celle de l'argent fraîchement coupé. Iridescents. Nacrés. Rebondis et joufflus comme des enfants de l'île du miel. Ascétiques, de véritables Yogis, qui ont traversé leur existence s'efforçant de se fondre dans le tout. Nonchalants, à la démarche de sénateurs. Paniqués, persuadés d'être en retard à la fête. Noirs comme des charbonniers, les bras chargés d'ondées lointaines. Ils traversent le continent, s'emplissent les poches au-dessus du vert éternel de l'Amazonie, les vident sur les stériles sommets enneigés. Ils débarquent, comme tant d'autres, sur la côte, en fumant tranquillement, penchés au-dessus des toits, appuyés sur un antenne, attendant leur vent.
C'est ici que les nuages viennent passer leurs vacances.

jeudi 24 mars 2011

la ville et les masques IV

Certains jours, tandis que la ville ballote l'indécis le long de ses artères perforées d'éclats de béton et de lampadaires, Celui-ci peut perdre de vue l'horizon.
La brume, comme le rideau de larmes, dissimule et réveille l'envie de le percer à jour. Celui qui se laisse entraîner dans cette course désespérée ne connaîtra pas la satisfaction. La brume,elle, ne cessera de reculer, de l'entourer, sans jamais se laisser percer à jour. De ses longs doigt grisâtres, elle égarera le voyageur, propageant le bruit de ses pas d'une façon distordue, se plaisant à le promener de comédie en tragédie, révélant à ses yeux qui un drame, qui une farce, qui un amour contrarié, puis se refermant aussitôt, avec ce mouvement lent qui ressemble à une expiration.
Elle est tous les rideaux successifs d'une pièce qui ignore le parterre; la ville est une oeuvre qui se moque des applaudissements, des dernières et des rappels.Le brouillard n'est pas un entracte, juste une ignorance des yeux.
Celui qui se laissera entraîner jusqu'aux dernières coulisses, lèvera un coin de l'ultime velours, ne découvrira rien d'autre que l'étendue inexorable de l'océan, les vivats inlassables des vagues, les lazzis infinis du vent.

lundi 21 mars 2011

La ville et le vide IV

Il est possible, au grès des dédales et des impasses, que celui qui s'interne dans la ville alanguie perçoive, du coin de l'oeil, des visages. Ce phénomène se produit bien souvent à l'heure où le soleil agonisant lance une dernière fois ses serres d'or à l'assaut du ciel, s'y raccrochant comme un noyé sans autre certitude que sa disparition prochaine dans les flots de la nuit. C'est l'heure où s'allument les lampes. Celui qui traverse les gués encombrés de flots citadins, y croise parfois des mirages, fruits de la foule, le plus terrible des déserts. Il y verra peut-être une démarche qu'il connaît, à moins que cela soit un sourire, un chapeau, une intonation. Se retourner et suivre ces dopplegängers, c'est céder son âme à la folie. Ces visages, ces mirages, chacun les porte, dans la ville qui se cache, palpitante, au fond de son âme et porte pour chacun, un nom distinct: certains la nomment passé, d'autres éden, certains même, prétendent qu'elle n'existe pas.

lundi 14 mars 2011

La ville et le bruit III

Dans un hôtel, vétuste, qui se souvient douloureusement d'une période de couronnes et de faste, demeure un jardin. Ce morceau de gazon pourrait être insignifiant sans l'existence d'un arbre gigantesque, le dernier représentant des siens sur la côte battue par des vents aussi secs que la sentence du dernier juge.
De son tronc bicéphale s'élève une théorie de branches et ramilles. Ses larges feuilles ne connaissent pas l'automne, juste l'éternelle agonie qui a été offerte en partage aux plantes tropicales.
Dissimulés dans ses plus hautes branches demeure le peuple babillant des perroquets, qui toute la journée, se plaignent de la réalité qui les fait demeurer loin de l'ombre sans fin des forêts qui les ont vu naître.

jeudi 10 mars 2011

La ville et la peur I

Il est un lieu dans la ville bondée, cramoisie, emplie d'humanités, qui demeure étrangement vide. La maison, comme beaucoup d'autres qui agonisent au centre de la cité, ressemble à une vieille dame autrefois digne, mais qui aurait depuis succombé à la folie. Gribouillée, maquillée comme une vieille catin, sa façade n'en peut plus de racoler. Le rez-de-chaussée en est un garage qui tous les jours injurie et souille de méthane les moulures venues d'un autre temps.
Le second étage est vide.
De jour, il est étrangement accueillant.
Malgré la mélasse assourdissante de cris, de crissements, de klaxons, celui qui pousse la porte écaillée qui se blottit au sommet des escaliers étroits, cariés de graisse et de temps, plonge dans un silence fait de grincements, de double-croches des rats, du roucoulement lointain des pigeons. L'odeur qui s'y promène comme un passant nonchalant est une symphonie de pourritures rances et pénétrantes.
Le dernier bravache qui lança le pari d'y passer la nuit, répète inlassablement depuis les mêmes mots: les pas, les pas, les pas.
Il est simplement des lieux qui s'ouvrent sur des obscurités si profondes qu'elles doivent demeurer inconnues.

samedi 5 mars 2011

La ville et les masques III

La ville est parcourue de sentes d'argent, qui illuminent sa surface d'un tissage brillant. ceux qui les empruntent parlent avec des accents anglais, allemands, français, feints. Ils marchent, détendus, sur ces larges avenues, bien entretenues, de pavés dorés, qui toutes enjambent des gouffres sans fond, qui sont pourtant l'essence même de la ville. Ces clairs sentiers sont parsemés de cafés, de terrasses agréables et de magasins qui ressemblent à des bars, de bars qui ressemblent à des coiffeurs, à des coiffeurs qui ressemblent à des magasins.
Parfois, des éruptions de magma entachent les claires sentes et parfois, quelques représentants de ces Elois insouciants se retrouvent emportés dans les gouffres amers et impitoyables des profondeurs miséreuses de la cité. S'ils survivent, c'est par un hasard impudent, car la colère et l'envie sont des moteurs puissants.
Ces passerelles sont fragiles et bien des fois, la réalité rappelle à l'insouciant que son essence est l'illusion d'une société.
Certaines sont couronnées par des tours d'ivoire, d'autres par des songes de papier, d'autres par des folies constituées en forteresses. Toutes sont construites des sables d'un temps révolu mais elles tentent d'ignorer l'inéluctable érosion, par des fêtes et des bals masqués.
La houle, elle, patiente, continue son travail inlassable.

jeudi 3 mars 2011

La ville et la peau III

Parfois, lorsque le crépuscule vient, tandis que les voitures ouvrent leurs yeux de lucioles, celui qui s'achemine vers une maison, la sienne, celle d'autres, un foyer, un théâtre, une gargotte, sentira souffler sur son épiderme, un brise étrange, comme le souffle d'un bête fabuleuse, à la base de son cou. Cette créature invisible, fille du vent éméché et du désir triomphant, n'a pas plus de nom que de visage. Elle circule parmi les hommes, étirant ses anneaux vibrants de lointain et de mers inconnues. L'homme victime de la bête sentira le besoin irrépressible de rêver de départs, de ports, de visages nouveaux. Une vieille légende a court dans la ville alanguie: celui qui dompte cette bête sera un jour heureux.

lundi 21 février 2011

la ville et les masques II

Ce même visage, pétri d'ennui et de paresse, qui d'un regard absent contemple les objets disparates disposés sur le tapis roulant d'une caisse, se fond soudain dans un sourire complice. Ce visage, qui avec peine se hisse au-delà d'un costume de vendeuse, du vert gris des hôpitaux de province, maquillé avec l'humilité de celle qui se sait insignifiante, pourquoi soudain cet éclat déplacé comme une odalisque dans une basilique?
Soudain l'imaginer avec d'autres oripeaux, qui habillent moins qu'il ne révèlent, sous la grasse lumière d'un vendredi soir. Soudain la voir s'approcher, danser plus que marcher et poser ses mains délicates ( que font-elles dans un super-marché, ces agiles serpents, ces graciles papillons de nuit?). Soudain l'avoir.
Combien de volcans dissimulent les tristes cendres des tristes lundis dans les tristes rayons fromagerie?

vendredi 18 février 2011

la ville et le vide III

Au coeur de l'insane bataille de titans de béton, hérissés de lances satellites, échangeant estocs et tailles d'épées vrombissantes, dévorés par des végétations parasites, dans le tumulte sans fin d'un Ragnarok immobile, se dissimule un jardin. Lové dans l'aine d'une monstruosité aux yeux innombrables de verre aveugle et de voyeurs invisibles, il se développe comme une tâche de lumière dans une pièce abandonnée et obscure. Après avoir évité les masses et les pieds cyclopéens, la marche imparable des serpents d'acier et leur parade de rouille, l'égaré qui aurait par hasard passé le porche de pagode rongé de sel et salué le vieillard en kimono incongru, sentira la fureur s'éloigner, les cris disparaître, la rage minérale s'éteindre comme les braises sous la vague.
Là l'attend un étang d'eaux vert tendre, saupoudré de carpes blanches et roses,tandis qu'une mangeoire de pierre orientale espère, pensive et grave, le passage des quelques colombes qui pourraient échapper aux griffes des corbeaux de foudre. Les pins nains exhalent le parfum délicieux des terres de l'enfance. Celui qui parvient au jardin sait que le silence est un bien précieux. Parfois, avec un peu de chance, il en gardera un fragment avant de retourner au tourbillon enragé de la folie citadine.

lundi 14 février 2011

La ville et les symboles II

Toutes les semaines, un jour, le temps de quelques heures, une centaine de personnes se rassemblent sur des places en béton armé, autour des lampadaires salis de poussière, à la tombée de la nuit. Ils sont vieux, fatigués, beaucoup sont laids, même avec leurs costumes repassés et leurs chapeaux mous. Les vieilles femmes grosses en profitent pour afficher leur or et leurs bijoux. Les hommes se contentent de cravates criardes. Ils s'asseyent sur d'inconfortables chaises d'école primaire et attendent. Aux premiers tâches d'obscurité, résonne la musique.
Les automates fatigués se dépouillent alors de leurs raideurs et de leurs fatigues, qui les rendaient si laids. Ils sourient, dansent, chantent. Un peu ridicules, agités comme des enfants à leur première fête.
Cela durera longtemps. Malgré les longues journées, les travaux ingrats, les clients offensants, ils danseront jusqu'à ce que l'orchestre rende gorge, les enceintes implorent grâce. Nul ne pourra les empêcher d'être heureux.
Jusqu'à demain.

jeudi 10 février 2011

La ville et les odeurs II

Il est parfaitement vain d'ignorer l'odeur de la mer. Géant indifférent et vaguement ennuyé,il s'infiltre en tout lieu et des ses longs doigts mouillés se plaît à parsemer partout des flocons d'humidité teintée d'iode. Son cou interminable parcourt la cité soufflant une haleine faisandée sur les murs, les coiffures, l'eau bue. Sournois, il sait se dissimuler à l'ombre d'une ruelle, pour mieux surprendre, avec un poignée d'algues et de harengs. Invasif, il s'invite dans les bagages et plus d'un voyageur a découvert avec effarement, à l'heure de rentrer chez lui, que celui-ci l'avait suivi, émigrant illégal et persistant.

mardi 8 février 2011

la ville et le bruit II

Il est un son des plus particuliers, que le voyageur apprendra à reconnaître: celui des fripiers. Armés d'ocarinas essoufflées, ils sillonnent la ville, poussant des chariots-bicyclettes, nées de divers larcins, jusqu'à acquérir la forme qui sera la leur, avant d'être démantelées, vendues, échangées.
Dans les rues résolument désertes des quartiers écrasés par la chaleur, ils errent, dans un concert de grincements et leur souffle se fait chant par la vertu du petit instrument à vent. Alors que leur être tout entier n'est que chiffons, souillure, bouteilles vides, qui tressautent, condamnées en route vers l'échafaud, résonne l'ocarina, étrangement mélancolique, mélodie si triste et si résignée qu'elle transcende crasse, désordre, tumulte et gains véniels au détriment des vieillards, qui attendent, penchés aux fenêtres, un cordon à la main, que passe le voleur de riens.

lundi 7 février 2011

La ville et les masques I

Lorsqu'il faut se déplacer à travers la houle de métal, il est de bon ton de se laisser mener par les hommes étranges et nerveux qui y sont immergés en permanence. Leur profession n'est pas toujours un choix. Si l'on se risque à la confession avec eux, on se confrontera à des paléontologues, des juristes, des mécaniciens, des ingénieurs, des professeurs d'anglais. Chacun d'eux est aussi friand de raconter que d'entendre. Le temps de quelques virages serrés, de quelques squales vrombissants évités, il est possible que le tutoiement vienne imperceptiblement, comme avec tous ceux avec qui on croise la camarade. Immergés dans la houle, ils s'y sentent chez eux, au rythme de la radio qui pulse et offre son battement au vent marin. Curieux, culottés, impatients, bavards, ainsi sont les fils du béton, fiers comme des poux de leurs carrosses rouillés, rongés par l'air salin, les hypothèques, les clients négligents. Tous peuvent raconter une histoire.
Il est même possible qu'elle soie vraie.

vendredi 4 février 2011

La ville et les odeurs I

Lorsque le voyageur s'enfonce dans les méandres de la ville, il ne peut éviter de remarquer que même la plus humble des échoppes, le plus misérable des étals regorge de fruits. Leurs odeurs dorées, agressives comme le soleil de midi, s'infiltrent partout en volutes éclatantes. Pommes, poires, oranges, tunas, ananas, papayes, mangues jaunes, vertes, pastèques géantes, melons nains, chirimoyas et lucumas, chacun d'eux apporte à la symphonie odorante les harmoniques qui lui sont propres. Les miasmes puissants de la fermentation ajoutent une note parfois sinistre aux pyramides assemblées comme des ziggourats monochromes. Celui qui s'aventure à suivre ces draperies de senteurs, ira, au gré des rues droites et des passages tortueux, s'approchant d'un temple à la façade écaillée et rongée par l'humidité. Au fronton monumental quelques lettres sont encore visibles: m cado e fr tas. Si l'égaré ne craint ni la foule, ni le bruit qui se réverbère sur les présentoirs métalliques, les murs peints pas les infiltrations d'eau, le parquet dessinant un algorithme abscons, son courage sera recompensé par une vision.
Des milliers de fruits, placés en tas, classés par familles, par couleurs, parfois selon un ordre incompréhensible. La foule grouillante ne l'arrêtera pas, ni les voix racoleuses. Il faudra traverser la crasse, le labyrinthe des visages, éviter les voleurs et les portefaix aveuglés par leur charge. Seulement alors, il parviendra à un étal qui est comme tous les autres étals. Celui qui le tient est parfois une femme aux chicots noircis, un vieil homme au chapeau feutre élimé ou une fillette dont les cheveux noirs sont parcourus de reflets bleutés. On lui tendra un morceau de fruit, qu'il mangera sans hésiter. Alors disparaîtront voleurs, portefaix, foule bruits, murs et infiltrations. Il ne subsistera du temple qu'un espace vide entre deux immeubles. Il faudra alors, une fois encore, rassembler les rubans de senteurs, lentement, remonter les rues et retrouver le temple des fruits exquis.

mercredi 2 février 2011

la ville et le vide II

La musique fraîche des gouttes de pluie. Leur tintement clair, lorsqu'elles s'écrasent, explosent, se mélangent, s'agglomèrent, réveillent du béton des notes de poussière entêtantes et suaves.
L'aspect de rideaux brillants, leur transparence glauque.
On cherchera en vain un parapluie dans toute la ville.
Le gris parfois menaçant du ciel n'est que mensonges d'un chien qui aboie beaucoup mais jamais ne mord.
Il pleut à grand peine quelques gouttes durant une vingtaine de battements de coeur.
Demeure une ville qui se baigne de poussière, une ville qui a oublié la pluie et son crépitement sec, si jamais un jour elle l'a entendu.

mardi 1 février 2011

La ville et la peau II

Se réveiller en été signifie subir les assauts indolents d'un vent moite, tout en sueur, qui colle à la peau comme une pellicule douceâtre, film transparent à l'odeur entêtante des bougainvilliers et du marc de voitures. Ce caramel sale pourrait se vendre en bouteilles, mais il recouvre tout et tous. Parfois, il s'étend, visqueuses toiles de chitine, en travers des rues. Lorsque l'on s'y confronte, on sent la résistance d'une membrane, qui rappelle son existence quelques secondes avant de céder.
Il est des jours ou le vent salin, lame de fond, les brise, harpon de grisaille à travers des couches de dorure poisseuse et vaguement insistante.
Cette atmosphère provoque chez chacun des effets différents. Toutefois, la plus part des habitants prétendent qu'elle n'existe pas, qu'il ne s'agit que des élucubrations de ceux qui marchent écorchés dans les rues de la ville.

lundi 31 janvier 2011

La ville et les symboles I

Un homme attend au coin d'une rue, statue indifférente au vacarme.
Dans sa main gauche, un stylo et un écritoire à pince dans la droite, il note inlassablement les allées et venues des bus bariolés qui transportent les visages transis, heureux, absents.
Chaque fois, le conducteur lui remet un papier, un signe, un vestige éphémère d'un passage récurrent. Pas de mots échangés, parfois un bras tendu qui désigne une artère, parfois une main qui arrête, d'un geste, encourage à changer de chemin.
L'homme reste seul tandis que s'enfuit le bus arc-en-ciel. Dans le ballet incessant de véhicules, il est un axe, un point fixe, pivot immobile d'un ordre qui, incompréhensible, se nomme chaos.

La ville et le vide I

Dans les allées minérales et grises, personne.
Les escaliers montent, se perdent dans un dédale de béton. Le vent agite un eucalyptus, bruit de rivière.
Un ballon abandonné, s'ennuie sous un banc massif de pierre grise de poussière. Les pas résonnent dans cette cathédrale endormie.
Traversant des gorges de fenêtres et de balcons, on se sent observé, par les centaines de rideaux, dont peut-être d'un, on a ressenti le mouvement furtif.
Une colombe invisible chante.
La circulation lointaine, comme d'un autre monde. Les arbres dissimulent d'autres immeubles, d'autres balcons,d'autres rideaux. La végétation assoupie et le béton monumental font du résidentiel une citadelle abandonnée par des dieux paresseux.

La ville et la peau I

Ses talons résonnent sur le trottoir, comme autant de roulements de tambour de la fanfare de son égo. Des jambes interminables. Moulées dans un jeans qui pourrait être dessiné à même sa peau couleur café sans lait, ni sucre. Une taille étroite, un cou de cygne, des épaules libres de toute entrave, abandonnées par un tissu qui est à peine plus qu'une brise de soie. Le menton hautain, les sourcils arqués, les yeux verts fixés plus loin que la rue.
Chevelure ondulée, laquée, fixée sculptée, ébène et moire.
Ville étrange, dont les fleurs ont un parfum envahissant, tâches indélébiles laissées par le soleil derrière les paupières closes.

La ville et le bruit I

Un chaos, qui sans rime et sans raison, se poursuit à chaque instant. Une pièce sans scénario, ou de tant d'intrigues qu'elles se diluent dans l'ignorance.
Démarrages enragés et klaxons revendicateurs, borborygmes de pots d'échappement, braillements nasillards et racoleurs, réclames pour des cacahuètes, bonbons, misère. Chuintement de l'essuie-glaces, gémissement du chiffon poussiéreux sur le pare-brise. Tapotements de poings contre les vitres, papillons affolés se cognant à la porte de la lutte des classes.
Soudain, le silence et alors le souffle du Pacifique dans les fanons des palmiers, peignes géants peinant à garder l'apparence d'arbres, rongés par la pollution et le sel, le vent marin, hôte impromptu des vitres du résidentiel, qu'il agite comme autant de carillons gigantesques.
Parfois, le chant mélancolique, désabusé de la colombe cucuu li cucuu li, sans espoir de dominer la mêlée mais sans pour autant cesser d'essayer, jamais. Contrepoint de douceur dans un règne de désordre.
Les voix des radios, radieuses de salsas et de cumbias, de reggaton furieux et grasseyant, de valses d'une époque révolue. Publicité pour de l'espace, pour des fuites que d'autres nomment vacances, pour une marée d'objets hétéroclites, ruisseaux de nourriture. Nouvelles de mort, nouvelles de foot, nouvelles de glam, nouvelles de kitsch, nouvelles de riches, nouvelles du plastique qui est comme le fard douceâtre de cette ville qui ignore le silence ou le méprise.

mercredi 12 janvier 2011

Histoire à faire peur

Sans brume pas de pas
sans pas pas de hibou
sans hibou pas de lune brune
sans lune brune pas de loups
hurlant
sans loups pas de masure
sans masure pas de grincements
sans grincements pas de main sûre
sans main sûre pas de hache
sans hache pas de sang
sans sang pas de cris
sans cris pas de pelle
besognant
sans pelle pas de trou
sans trou pas de corps
sans corps pas de larmes
sans larmes pas d'aube secrète
peinant
sans aube secrète pas de silhouette
sans silhouette pas de crime
sans crime pas de corps
courant sous la lune gravide
de loups de hiboux
car le trou est vide.

La nuit III

III.

Et il écoute bien
tant de serments et de promesses
toujours un témoin
le vent

La nuit s'étire
dans le miroir des cieux
rides innombrables
silence attristé
déserte avec fracas
nuit se fane
n'a plus d'appats
d'une voix cassée amère
teintée d'amarante
elle chante encore
mal et fort
les ivrognes lui sont un choeur

sur le pas solitaire d'un balayeur
s'éveille la cohorte de métal
la nuit râle la nuit suffoque
chante encore
voix rauque
dans sa tombe de lumière grise
tissée des prémisses de l'aube
puis s'effondre enfin
passion dans les bras du matin

La nuit II

II.

Les tramways agonisent
se taisent enfin
la nuit et le silence s'enlacent
goudron et satin
le coït d'une ville résonne
voix de chats
voix de chiens
son pouls s'accélère
retombe sans faire de manières
(la ville en effet est une catin
qui prend
qui donne rien)
un soupir
traverse ses parfums
musc tabac froid sueur essence
bière rance larmes
le vent
vieil homme aveugle usé patient
emporte tout dans ses bras d'embruns
sans rancoeurs ni rancards
il va vient sur ses patins blancs
d'arrière cour en cul de sac
de froidures boisées au lac moite
en retard partout il s'en moque bien
car la nuit et lui un jour dans un jardin
-Je me tais
il écoute-

La nuit I

I.

La nuit tombe comme d'une chaise
maladroite bruyante lourde
La nuit tombe couperet haché
émoussé trop de sentences absurdes
Elle s'avance dans les rues
noircit un visage
passe sa langue sèche
sur les trottoirs tâchés d'innombrables péchés
la nuit tombe silence rideau trois coups
la nuit tombe suivie de ses malandrins
les hères les portefaix qui ne portent rien
sinistres comme la famine des loups
la nuit tombe emporte les ombres
tout lui appartient
la graisse dégoutte des lampadaires
cathéters des artères emplies de caillots
d'objets de métal lumineux et dépravés pleins d'obscurité
mais la nuit tombe
les bruits prennent vie

les serpents emplis de fantômes glissent
cliquetants secs comme l'assaut des squelettes
lamentables spectres
toujours au mêmes endroits
toujours aux mêmes arrêts

la nuit n'en finit pas de tomber

apologie

J'inhale

A l'abri derrière mes paupières
explose une jungle soudaine
ses feuilles vertes grasses de terre

sèment

des idées monumentales
des palais d'ivoires d'épitaphes
glorieuses sanglantes héroiques

cénotaphes

de rêves perdus ignorés égarés
révélés par la folie fumée
fleuve absurde pluie d'idées

Ce Léthé m'emporte m'entraîne
fait miennes mille pensées
absurdes terribles insensées
des détails éclatés que détiennent
les prophètes les fous et les rois
et le fleuve se fait houle
la marée dans mon crâne roule
mon âme galion démâté s'abat
coule dans l'oubli de l'insanité

la mer inexplorée se retire

(ressac de lucidité)

emportant arcs épées lyres
barques fantasques de délires

Laissant orphelin sur une berge stérile
celui qui impuissant rêve d'asile
dans cette jungle de myrrhe d'ors et fumée

été‏

I.

Je me tenais là
et la lumière coulait des arbres
verte lourde piquante comme autant
de grains ivres de folie
entrait dans ma tête me livrait tout entier
pieds poings liés à cette bête odorante d'été
ce plantigrade amoureux aux crocs délicieux
Ce monstre qui ne s'éveille que d'un oeil vert tendre
tandis que pépient des oiseaux jaunes bleus violets
dont le chant résonne
seulement
dans mes rêves oubliés
je m'endormis alors
assoupi sur sa panse immense
Quand résonnèrent les cors
je sentis la terre remuer
tandis que d'un seul mouvement
la bête s'élançait à l'amble
je me cramponnais à ses poils d'or vert
qui déjà brunissaient.

II.

Je vis ses oiseaux s'enfuir à tir de chant
tomber foudroyés par des traits de pluie
je vis leurs yeux noircir se fendre
et la bête qui pleurait.

Je me tournais et les chasseurs étaient là
funestes aguerris sévères
tristes pâtres
des champs de septembre
leurs regards obscurs leurs lippes sans concession
Leur maître s'avançait une lance d'ombres grisâtres
sinistre Orion
et l'été s'enfuyait

III.

Grisé par le vent vif
je n'entendis pas la complainte d'été qui roula foudroyé
tandis que les chasseurs d'un cri rauque
accouraient au sanglant hallali

Il le dépecèrent
vivant encore
sous mes yeux aveuglés le chasseur prit son coeur
soleil battant
d'une bouchée cruelle
claquante et sèche comme un pupitre qui se ferme
en fit son festin de malheur
et ainsi mena été à son terme.

IV.

Il me regarda enfin et ses yeux étaient froids
mazout châtaignes et crépuscules
sourit me lança de dédain un morceau d'été
que je chéris depuis lors
même tout séché.

Sous l'égide des faunes de néon‏

Silence.
Un pas
emporte un coeur
un rire un parfum
Battement
rien n'est irrévocable
pour le patient
cuivres sur fond d'âme bleue
Amen
Au lieu d'enfin
voie libre aux rêves
sans lendemain

Un tambour résonne
sa voix avide
tire du sommeil alourdi
rythmes mages
les murs s'éveillent
s'agitent de bras de mains
de corps tordus transis heureux
de lueurs rugissantes
surgies du royaume lotophage
( goût âcre à la bouche sel du fol
algues amères puis ethanol)
au-delà des embruns

contretemps.

le démon foule s'agrége s'emporte se dévisage
en miroirs de miroirs de miroirs déformants
une voix seule fait plus que cent
la horde sue la horde rit la horde ne fait qu'un
rythme minimal stérile sévère
battement d'un coeur myriade
qui sourit lentement
son âme éphèmère emportée
par le flot d'Edoné les râles de Volupie
le rire des Furies

Encore.
Crient mille regards et leurs pieds
esclaves soumis
s'inclinent.
Encore.
Cent sourires absents
de statues naufragées
Encore.

Et l'aube embusquée goulue attend
la fin au pied du gris béant
prête à croquer ses enfants perdus.

Invocation au voile d'automne‏

Feuilles mortes vent piquant
emportez-moi
étourneaux vagabonds
oies camées d'horizons
Emportez-moi
loin d'ici loin des mondes ressassés
dont je suis rassasié
Qui ont trop souvent assassiné mes rêves
comme autant des papillons disséqués
Emportez-moi
Ailleurs où que ce soit
loin de ma peau de mes os
je les connais trop
leur poids insupportable
Emportez-moi
Là où s'enfuient souhaits morts-nés
causes perdues amours trahis
héros vaincus
Emportez-moi
lumières d'érables
feuillages fatigués transis
je vous en prie.
Emportez-moi
Donnez-moi le don d'erre
Pan ouvre-moi la porte de lierre de vents gris et verts
je n'aspire qu'au départ sans rémission
Pan je t'implore
et te suivrai au-delà des monts au-delà des vaux
au-delà de l'horizon même loin du sort sédentaire
loin des senteurs entêtantes de la terre

Lima I

Lima I

La ville est une femme
Cruelle captivante retorse
De jambes de ruelle de bas troués
de bars poussière tachés d'insanes humanités
graisse sur son costume de mariée

La ville est une femme
Ses cheveux de palmiers déplumés
portés par le souffle nocturne
d'un Pacifique belligérant
(amant insatiable
en déconvenue)
car
La ville est une femme qui lui tourne le dos
se rit de lui de sa voix de klaxons
qui entachent les vagues de néon
de sa voix de crissements cris de rage
de caprice

La ville est une femme difficile
ses humeurs sont musique sur les ondes
de sa voix de radios
elle séduit
vend ses charmes
au plus déments (ceux qui portent ses couleurs)
se roulent dans ses bras s'étouffent dans ses replis
tandis que moites et doucereux
résonnent ses murmures d'alarmes
susurrent ses pas inquiets
tachycardies infinies infâmes d'un coeur creux

La ville est une femme qui n'en finit pas
de regarder fixement son nombril crasseux
de myriades d'égos insignifiants
lamentables grandioses affreux
De vendeurs à la sauvette
saltimbanques de sémaphores
d'affres de faim nourris au centime
théâtre urbain de désaccords
rimes de misère parterres insouciants d'indifférence citadine
de costards repassés de fripes rapiécées
de jambes moulées exhibées cachées
Par une mousseline de béton armé

La ville est une femme qui contemple son vernis de goudron
de peintures criardes de couleurs vives arrachées
Aux églises et aux places d’armes
d'autres règnes brisés
La ville est une petite fille drapée des oripeaux d'une colonie cacochyme
( bavotante indigente de dents rapiécées noircies de suie enfermée derrière des jalousies pourries triste gynécée)
Qui porte une mante dont dépasse un oeil solitaire
de phares de voiture et de lampadaires

La ville est une femme à la peau de cannelle
à la peau noire la peau d'argile à la peau vile
des chancres squameux
à la peau adolescente de pêches et plaisirs
à la peau blanche d'origines incertaines
à la peau jaune de pagodes incongrues
à la peau de sushis suants sous la charge
d'arches d'alliances impromptues
oui sa peau est mélange
cheveu d'ange noir Mozambique
Citron Sichuan blanc Andalou
encre du Japon rouge Andin
Ocre tropical
Bleu battu par les chaînes de coton


La ville est une femme
ses parfums sont lourds saveurs de chair suante
de chair brûlée de chair digérée d'eaux usées
d'eaux vertes infinies
( cadeau d'une énième dispute avec Monsieur Pacifique)
Puanteur de poisson poison d'humeurs d'essence
Diesel en flacon sur sa gorge de suie
Et sur son aine de crique
Le bougainvillier

La ville est une femme anthropophage
se nourrit de ses mains
De banquets enragés de corps chaque matin
Ses dents de pierre ses caries d’acier
Broient mastiquent chiquent gamins colosses catins
La sauce le sang dégouline des lèvres de crépuscule jusqu’au lieu humide jamais apaisé
Toujours friand

Et la ville est une femme alanguie
Qui bâille s’ennuie
Roulée dans ses draps de désert
Couvre-lit de poussière
Rêves arides assoiffés
Terribles songes d’oasis
D’une ville aux os blanchis
D’édens révolus

Dans ses artères obstruées de caillots d'humaines misères
on se serre on s'enserre
on se désire on se perd
Lima la plus triste de la terre
trône déchu de rois vaincus
trône de rouille
de bois de paradis vermoulus
Je t'aime comme la défaite
comme le silence après une fête
comme le rire en dernière strophe
d'une tragédie incongrue

La ville est une femme qui a des yeux d’enfant
Innocents qui se terrent au cœur des rues de dédale de chaos
Dans une maison de quelques briques de béton d’adobe mesquin

Au cœur de Babel la ville se mire
S’admire peut-être dans cette peau brune dans ces yeux verts
Miroirs éphémères et complaisants
Dans certaine chevelure ondulée brillante laquée
Son murmure formidable trouve un écho adouci
Dans un rire (je me plais à penser)
Qui porte pour moi
une pancarte Réservé

C’est ainsi que je la vois
et parfois pas souvent
La ville prise de pitié s’arrête s’incarne
S’attend
Ainsi je la vis Elle
Un soir tard au sortir d’un bar
Avatar délicieux de la cité des Rois Pourris

Ma foi la ville est une femme
Mais
Grâce au ciel
La femme est une ville
Qui me sourit