Lorsque le voyageur s'enfonce dans les méandres de la ville, il ne peut éviter de remarquer que même la plus humble des échoppes, le plus misérable des étals regorge de fruits. Leurs odeurs dorées, agressives comme le soleil de midi, s'infiltrent partout en volutes éclatantes. Pommes, poires, oranges, tunas, ananas, papayes, mangues jaunes, vertes, pastèques géantes, melons nains, chirimoyas et lucumas, chacun d'eux apporte à la symphonie odorante les harmoniques qui lui sont propres. Les miasmes puissants de la fermentation ajoutent une note parfois sinistre aux pyramides assemblées comme des ziggourats monochromes. Celui qui s'aventure à suivre ces draperies de senteurs, ira, au gré des rues droites et des passages tortueux, s'approchant d'un temple à la façade écaillée et rongée par l'humidité. Au fronton monumental quelques lettres sont encore visibles: m cado e fr tas. Si l'égaré ne craint ni la foule, ni le bruit qui se réverbère sur les présentoirs métalliques, les murs peints pas les infiltrations d'eau, le parquet dessinant un algorithme abscons, son courage sera recompensé par une vision.
Des milliers de fruits, placés en tas, classés par familles, par couleurs, parfois selon un ordre incompréhensible. La foule grouillante ne l'arrêtera pas, ni les voix racoleuses. Il faudra traverser la crasse, le labyrinthe des visages, éviter les voleurs et les portefaix aveuglés par leur charge. Seulement alors, il parviendra à un étal qui est comme tous les autres étals. Celui qui le tient est parfois une femme aux chicots noircis, un vieil homme au chapeau feutre élimé ou une fillette dont les cheveux noirs sont parcourus de reflets bleutés. On lui tendra un morceau de fruit, qu'il mangera sans hésiter. Alors disparaîtront voleurs, portefaix, foule bruits, murs et infiltrations. Il ne subsistera du temple qu'un espace vide entre deux immeubles. Il faudra alors, une fois encore, rassembler les rubans de senteurs, lentement, remonter les rues et retrouver le temple des fruits exquis.
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