Lima I
La ville est une femme
Cruelle captivante retorse
De jambes de ruelle de bas troués
de bars poussière tachés d'insanes humanités
graisse sur son costume de mariée
La ville est une femme
Ses cheveux de palmiers déplumés
portés par le souffle nocturne
d'un Pacifique belligérant
(amant insatiable
en déconvenue)
car
La ville est une femme qui lui tourne le dos
se rit de lui de sa voix de klaxons
qui entachent les vagues de néon
de sa voix de crissements cris de rage
de caprice
La ville est une femme difficile
ses humeurs sont musique sur les ondes
de sa voix de radios
elle séduit
vend ses charmes
au plus déments (ceux qui portent ses couleurs)
se roulent dans ses bras s'étouffent dans ses replis
tandis que moites et doucereux
résonnent ses murmures d'alarmes
susurrent ses pas inquiets
tachycardies infinies infâmes d'un coeur creux
La ville est une femme qui n'en finit pas
de regarder fixement son nombril crasseux
de myriades d'égos insignifiants
lamentables grandioses affreux
De vendeurs à la sauvette
saltimbanques de sémaphores
d'affres de faim nourris au centime
théâtre urbain de désaccords
rimes de misère parterres insouciants d'indifférence citadine
de costards repassés de fripes rapiécées
de jambes moulées exhibées cachées
Par une mousseline de béton armé
La ville est une femme qui contemple son vernis de goudron
de peintures criardes de couleurs vives arrachées
Aux églises et aux places d’armes
d'autres règnes brisés
La ville est une petite fille drapée des oripeaux d'une colonie cacochyme
( bavotante indigente de dents rapiécées noircies de suie enfermée derrière des jalousies pourries triste gynécée)
Qui porte une mante dont dépasse un oeil solitaire
de phares de voiture et de lampadaires
La ville est une femme à la peau de cannelle
à la peau noire la peau d'argile à la peau vile
des chancres squameux
à la peau adolescente de pêches et plaisirs
à la peau blanche d'origines incertaines
à la peau jaune de pagodes incongrues
à la peau de sushis suants sous la charge
d'arches d'alliances impromptues
oui sa peau est mélange
cheveu d'ange noir Mozambique
Citron Sichuan blanc Andalou
encre du Japon rouge Andin
Ocre tropical
Bleu battu par les chaînes de coton
La ville est une femme
ses parfums sont lourds saveurs de chair suante
de chair brûlée de chair digérée d'eaux usées
d'eaux vertes infinies
( cadeau d'une énième dispute avec Monsieur Pacifique)
Puanteur de poisson poison d'humeurs d'essence
Diesel en flacon sur sa gorge de suie
Et sur son aine de crique
Le bougainvillier
La ville est une femme anthropophage
se nourrit de ses mains
De banquets enragés de corps chaque matin
Ses dents de pierre ses caries d’acier
Broient mastiquent chiquent gamins colosses catins
La sauce le sang dégouline des lèvres de crépuscule jusqu’au lieu humide jamais apaisé
Toujours friand
Et la ville est une femme alanguie
Qui bâille s’ennuie
Roulée dans ses draps de désert
Couvre-lit de poussière
Rêves arides assoiffés
Terribles songes d’oasis
D’une ville aux os blanchis
D’édens révolus
Dans ses artères obstruées de caillots d'humaines misères
on se serre on s'enserre
on se désire on se perd
Lima la plus triste de la terre
trône déchu de rois vaincus
trône de rouille
de bois de paradis vermoulus
Je t'aime comme la défaite
comme le silence après une fête
comme le rire en dernière strophe
d'une tragédie incongrue
La ville est une femme qui a des yeux d’enfant
Innocents qui se terrent au cœur des rues de dédale de chaos
Dans une maison de quelques briques de béton d’adobe mesquin
Au cœur de Babel la ville se mire
S’admire peut-être dans cette peau brune dans ces yeux verts
Miroirs éphémères et complaisants
Dans certaine chevelure ondulée brillante laquée
Son murmure formidable trouve un écho adouci
Dans un rire (je me plais à penser)
Qui porte pour moi
une pancarte Réservé
C’est ainsi que je la vois
et parfois pas souvent
La ville prise de pitié s’arrête s’incarne
S’attend
Ainsi je la vis Elle
Un soir tard au sortir d’un bar
Avatar délicieux de la cité des Rois Pourris
Ma foi la ville est une femme
Mais
Grâce au ciel
La femme est une ville
Qui me sourit
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