lundi 31 janvier 2011

La ville et les symboles I

Un homme attend au coin d'une rue, statue indifférente au vacarme.
Dans sa main gauche, un stylo et un écritoire à pince dans la droite, il note inlassablement les allées et venues des bus bariolés qui transportent les visages transis, heureux, absents.
Chaque fois, le conducteur lui remet un papier, un signe, un vestige éphémère d'un passage récurrent. Pas de mots échangés, parfois un bras tendu qui désigne une artère, parfois une main qui arrête, d'un geste, encourage à changer de chemin.
L'homme reste seul tandis que s'enfuit le bus arc-en-ciel. Dans le ballet incessant de véhicules, il est un axe, un point fixe, pivot immobile d'un ordre qui, incompréhensible, se nomme chaos.

La ville et le vide I

Dans les allées minérales et grises, personne.
Les escaliers montent, se perdent dans un dédale de béton. Le vent agite un eucalyptus, bruit de rivière.
Un ballon abandonné, s'ennuie sous un banc massif de pierre grise de poussière. Les pas résonnent dans cette cathédrale endormie.
Traversant des gorges de fenêtres et de balcons, on se sent observé, par les centaines de rideaux, dont peut-être d'un, on a ressenti le mouvement furtif.
Une colombe invisible chante.
La circulation lointaine, comme d'un autre monde. Les arbres dissimulent d'autres immeubles, d'autres balcons,d'autres rideaux. La végétation assoupie et le béton monumental font du résidentiel une citadelle abandonnée par des dieux paresseux.

La ville et la peau I

Ses talons résonnent sur le trottoir, comme autant de roulements de tambour de la fanfare de son égo. Des jambes interminables. Moulées dans un jeans qui pourrait être dessiné à même sa peau couleur café sans lait, ni sucre. Une taille étroite, un cou de cygne, des épaules libres de toute entrave, abandonnées par un tissu qui est à peine plus qu'une brise de soie. Le menton hautain, les sourcils arqués, les yeux verts fixés plus loin que la rue.
Chevelure ondulée, laquée, fixée sculptée, ébène et moire.
Ville étrange, dont les fleurs ont un parfum envahissant, tâches indélébiles laissées par le soleil derrière les paupières closes.

La ville et le bruit I

Un chaos, qui sans rime et sans raison, se poursuit à chaque instant. Une pièce sans scénario, ou de tant d'intrigues qu'elles se diluent dans l'ignorance.
Démarrages enragés et klaxons revendicateurs, borborygmes de pots d'échappement, braillements nasillards et racoleurs, réclames pour des cacahuètes, bonbons, misère. Chuintement de l'essuie-glaces, gémissement du chiffon poussiéreux sur le pare-brise. Tapotements de poings contre les vitres, papillons affolés se cognant à la porte de la lutte des classes.
Soudain, le silence et alors le souffle du Pacifique dans les fanons des palmiers, peignes géants peinant à garder l'apparence d'arbres, rongés par la pollution et le sel, le vent marin, hôte impromptu des vitres du résidentiel, qu'il agite comme autant de carillons gigantesques.
Parfois, le chant mélancolique, désabusé de la colombe cucuu li cucuu li, sans espoir de dominer la mêlée mais sans pour autant cesser d'essayer, jamais. Contrepoint de douceur dans un règne de désordre.
Les voix des radios, radieuses de salsas et de cumbias, de reggaton furieux et grasseyant, de valses d'une époque révolue. Publicité pour de l'espace, pour des fuites que d'autres nomment vacances, pour une marée d'objets hétéroclites, ruisseaux de nourriture. Nouvelles de mort, nouvelles de foot, nouvelles de glam, nouvelles de kitsch, nouvelles de riches, nouvelles du plastique qui est comme le fard douceâtre de cette ville qui ignore le silence ou le méprise.

mercredi 12 janvier 2011

Histoire à faire peur

Sans brume pas de pas
sans pas pas de hibou
sans hibou pas de lune brune
sans lune brune pas de loups
hurlant
sans loups pas de masure
sans masure pas de grincements
sans grincements pas de main sûre
sans main sûre pas de hache
sans hache pas de sang
sans sang pas de cris
sans cris pas de pelle
besognant
sans pelle pas de trou
sans trou pas de corps
sans corps pas de larmes
sans larmes pas d'aube secrète
peinant
sans aube secrète pas de silhouette
sans silhouette pas de crime
sans crime pas de corps
courant sous la lune gravide
de loups de hiboux
car le trou est vide.

La nuit III

III.

Et il écoute bien
tant de serments et de promesses
toujours un témoin
le vent

La nuit s'étire
dans le miroir des cieux
rides innombrables
silence attristé
déserte avec fracas
nuit se fane
n'a plus d'appats
d'une voix cassée amère
teintée d'amarante
elle chante encore
mal et fort
les ivrognes lui sont un choeur

sur le pas solitaire d'un balayeur
s'éveille la cohorte de métal
la nuit râle la nuit suffoque
chante encore
voix rauque
dans sa tombe de lumière grise
tissée des prémisses de l'aube
puis s'effondre enfin
passion dans les bras du matin

La nuit II

II.

Les tramways agonisent
se taisent enfin
la nuit et le silence s'enlacent
goudron et satin
le coït d'une ville résonne
voix de chats
voix de chiens
son pouls s'accélère
retombe sans faire de manières
(la ville en effet est une catin
qui prend
qui donne rien)
un soupir
traverse ses parfums
musc tabac froid sueur essence
bière rance larmes
le vent
vieil homme aveugle usé patient
emporte tout dans ses bras d'embruns
sans rancoeurs ni rancards
il va vient sur ses patins blancs
d'arrière cour en cul de sac
de froidures boisées au lac moite
en retard partout il s'en moque bien
car la nuit et lui un jour dans un jardin
-Je me tais
il écoute-

La nuit I

I.

La nuit tombe comme d'une chaise
maladroite bruyante lourde
La nuit tombe couperet haché
émoussé trop de sentences absurdes
Elle s'avance dans les rues
noircit un visage
passe sa langue sèche
sur les trottoirs tâchés d'innombrables péchés
la nuit tombe silence rideau trois coups
la nuit tombe suivie de ses malandrins
les hères les portefaix qui ne portent rien
sinistres comme la famine des loups
la nuit tombe emporte les ombres
tout lui appartient
la graisse dégoutte des lampadaires
cathéters des artères emplies de caillots
d'objets de métal lumineux et dépravés pleins d'obscurité
mais la nuit tombe
les bruits prennent vie

les serpents emplis de fantômes glissent
cliquetants secs comme l'assaut des squelettes
lamentables spectres
toujours au mêmes endroits
toujours aux mêmes arrêts

la nuit n'en finit pas de tomber

apologie

J'inhale

A l'abri derrière mes paupières
explose une jungle soudaine
ses feuilles vertes grasses de terre

sèment

des idées monumentales
des palais d'ivoires d'épitaphes
glorieuses sanglantes héroiques

cénotaphes

de rêves perdus ignorés égarés
révélés par la folie fumée
fleuve absurde pluie d'idées

Ce Léthé m'emporte m'entraîne
fait miennes mille pensées
absurdes terribles insensées
des détails éclatés que détiennent
les prophètes les fous et les rois
et le fleuve se fait houle
la marée dans mon crâne roule
mon âme galion démâté s'abat
coule dans l'oubli de l'insanité

la mer inexplorée se retire

(ressac de lucidité)

emportant arcs épées lyres
barques fantasques de délires

Laissant orphelin sur une berge stérile
celui qui impuissant rêve d'asile
dans cette jungle de myrrhe d'ors et fumée

été‏

I.

Je me tenais là
et la lumière coulait des arbres
verte lourde piquante comme autant
de grains ivres de folie
entrait dans ma tête me livrait tout entier
pieds poings liés à cette bête odorante d'été
ce plantigrade amoureux aux crocs délicieux
Ce monstre qui ne s'éveille que d'un oeil vert tendre
tandis que pépient des oiseaux jaunes bleus violets
dont le chant résonne
seulement
dans mes rêves oubliés
je m'endormis alors
assoupi sur sa panse immense
Quand résonnèrent les cors
je sentis la terre remuer
tandis que d'un seul mouvement
la bête s'élançait à l'amble
je me cramponnais à ses poils d'or vert
qui déjà brunissaient.

II.

Je vis ses oiseaux s'enfuir à tir de chant
tomber foudroyés par des traits de pluie
je vis leurs yeux noircir se fendre
et la bête qui pleurait.

Je me tournais et les chasseurs étaient là
funestes aguerris sévères
tristes pâtres
des champs de septembre
leurs regards obscurs leurs lippes sans concession
Leur maître s'avançait une lance d'ombres grisâtres
sinistre Orion
et l'été s'enfuyait

III.

Grisé par le vent vif
je n'entendis pas la complainte d'été qui roula foudroyé
tandis que les chasseurs d'un cri rauque
accouraient au sanglant hallali

Il le dépecèrent
vivant encore
sous mes yeux aveuglés le chasseur prit son coeur
soleil battant
d'une bouchée cruelle
claquante et sèche comme un pupitre qui se ferme
en fit son festin de malheur
et ainsi mena été à son terme.

IV.

Il me regarda enfin et ses yeux étaient froids
mazout châtaignes et crépuscules
sourit me lança de dédain un morceau d'été
que je chéris depuis lors
même tout séché.

Sous l'égide des faunes de néon‏

Silence.
Un pas
emporte un coeur
un rire un parfum
Battement
rien n'est irrévocable
pour le patient
cuivres sur fond d'âme bleue
Amen
Au lieu d'enfin
voie libre aux rêves
sans lendemain

Un tambour résonne
sa voix avide
tire du sommeil alourdi
rythmes mages
les murs s'éveillent
s'agitent de bras de mains
de corps tordus transis heureux
de lueurs rugissantes
surgies du royaume lotophage
( goût âcre à la bouche sel du fol
algues amères puis ethanol)
au-delà des embruns

contretemps.

le démon foule s'agrége s'emporte se dévisage
en miroirs de miroirs de miroirs déformants
une voix seule fait plus que cent
la horde sue la horde rit la horde ne fait qu'un
rythme minimal stérile sévère
battement d'un coeur myriade
qui sourit lentement
son âme éphèmère emportée
par le flot d'Edoné les râles de Volupie
le rire des Furies

Encore.
Crient mille regards et leurs pieds
esclaves soumis
s'inclinent.
Encore.
Cent sourires absents
de statues naufragées
Encore.

Et l'aube embusquée goulue attend
la fin au pied du gris béant
prête à croquer ses enfants perdus.

Invocation au voile d'automne‏

Feuilles mortes vent piquant
emportez-moi
étourneaux vagabonds
oies camées d'horizons
Emportez-moi
loin d'ici loin des mondes ressassés
dont je suis rassasié
Qui ont trop souvent assassiné mes rêves
comme autant des papillons disséqués
Emportez-moi
Ailleurs où que ce soit
loin de ma peau de mes os
je les connais trop
leur poids insupportable
Emportez-moi
Là où s'enfuient souhaits morts-nés
causes perdues amours trahis
héros vaincus
Emportez-moi
lumières d'érables
feuillages fatigués transis
je vous en prie.
Emportez-moi
Donnez-moi le don d'erre
Pan ouvre-moi la porte de lierre de vents gris et verts
je n'aspire qu'au départ sans rémission
Pan je t'implore
et te suivrai au-delà des monts au-delà des vaux
au-delà de l'horizon même loin du sort sédentaire
loin des senteurs entêtantes de la terre

Lima I

Lima I

La ville est une femme
Cruelle captivante retorse
De jambes de ruelle de bas troués
de bars poussière tachés d'insanes humanités
graisse sur son costume de mariée

La ville est une femme
Ses cheveux de palmiers déplumés
portés par le souffle nocturne
d'un Pacifique belligérant
(amant insatiable
en déconvenue)
car
La ville est une femme qui lui tourne le dos
se rit de lui de sa voix de klaxons
qui entachent les vagues de néon
de sa voix de crissements cris de rage
de caprice

La ville est une femme difficile
ses humeurs sont musique sur les ondes
de sa voix de radios
elle séduit
vend ses charmes
au plus déments (ceux qui portent ses couleurs)
se roulent dans ses bras s'étouffent dans ses replis
tandis que moites et doucereux
résonnent ses murmures d'alarmes
susurrent ses pas inquiets
tachycardies infinies infâmes d'un coeur creux

La ville est une femme qui n'en finit pas
de regarder fixement son nombril crasseux
de myriades d'égos insignifiants
lamentables grandioses affreux
De vendeurs à la sauvette
saltimbanques de sémaphores
d'affres de faim nourris au centime
théâtre urbain de désaccords
rimes de misère parterres insouciants d'indifférence citadine
de costards repassés de fripes rapiécées
de jambes moulées exhibées cachées
Par une mousseline de béton armé

La ville est une femme qui contemple son vernis de goudron
de peintures criardes de couleurs vives arrachées
Aux églises et aux places d’armes
d'autres règnes brisés
La ville est une petite fille drapée des oripeaux d'une colonie cacochyme
( bavotante indigente de dents rapiécées noircies de suie enfermée derrière des jalousies pourries triste gynécée)
Qui porte une mante dont dépasse un oeil solitaire
de phares de voiture et de lampadaires

La ville est une femme à la peau de cannelle
à la peau noire la peau d'argile à la peau vile
des chancres squameux
à la peau adolescente de pêches et plaisirs
à la peau blanche d'origines incertaines
à la peau jaune de pagodes incongrues
à la peau de sushis suants sous la charge
d'arches d'alliances impromptues
oui sa peau est mélange
cheveu d'ange noir Mozambique
Citron Sichuan blanc Andalou
encre du Japon rouge Andin
Ocre tropical
Bleu battu par les chaînes de coton


La ville est une femme
ses parfums sont lourds saveurs de chair suante
de chair brûlée de chair digérée d'eaux usées
d'eaux vertes infinies
( cadeau d'une énième dispute avec Monsieur Pacifique)
Puanteur de poisson poison d'humeurs d'essence
Diesel en flacon sur sa gorge de suie
Et sur son aine de crique
Le bougainvillier

La ville est une femme anthropophage
se nourrit de ses mains
De banquets enragés de corps chaque matin
Ses dents de pierre ses caries d’acier
Broient mastiquent chiquent gamins colosses catins
La sauce le sang dégouline des lèvres de crépuscule jusqu’au lieu humide jamais apaisé
Toujours friand

Et la ville est une femme alanguie
Qui bâille s’ennuie
Roulée dans ses draps de désert
Couvre-lit de poussière
Rêves arides assoiffés
Terribles songes d’oasis
D’une ville aux os blanchis
D’édens révolus

Dans ses artères obstruées de caillots d'humaines misères
on se serre on s'enserre
on se désire on se perd
Lima la plus triste de la terre
trône déchu de rois vaincus
trône de rouille
de bois de paradis vermoulus
Je t'aime comme la défaite
comme le silence après une fête
comme le rire en dernière strophe
d'une tragédie incongrue

La ville est une femme qui a des yeux d’enfant
Innocents qui se terrent au cœur des rues de dédale de chaos
Dans une maison de quelques briques de béton d’adobe mesquin

Au cœur de Babel la ville se mire
S’admire peut-être dans cette peau brune dans ces yeux verts
Miroirs éphémères et complaisants
Dans certaine chevelure ondulée brillante laquée
Son murmure formidable trouve un écho adouci
Dans un rire (je me plais à penser)
Qui porte pour moi
une pancarte Réservé

C’est ainsi que je la vois
et parfois pas souvent
La ville prise de pitié s’arrête s’incarne
S’attend
Ainsi je la vis Elle
Un soir tard au sortir d’un bar
Avatar délicieux de la cité des Rois Pourris

Ma foi la ville est une femme
Mais
Grâce au ciel
La femme est une ville
Qui me sourit