mardi 23 août 2011

la ville et les masques VI

L'hiver est une vague qui harasse sans cesse les carrefours de la ville. Pâteuse, elle enfle, déborde les toits, se colle au ciel, tenace, comme la nicotine sur les dents d'un vieux fumeur. Pourtant, la métropole ne lui cède le terrain qu'aux prix de luttes titanesques: chaque ruelle est un Iéna, chaque trottoir un Waterloo où des lots de fleurs citadines râlent dans le tonnerre des klaxons insanes. Le crépuscule hivernal caracole tandis que face à ses lances d'embruns translucides, une cité s'arc-boute de ses couleurs les plus criardes, les plus ferventes, les plus fiévreuses,les plus désespérées.
Las, le ciel avare emporte son éclat, laissant la cité baigner dans le sépia d'une vieille morgue. Jusqu'au premier taxi, qui explose de musique, de cuivres, d'humanité, enfin, sous le sourcil froncé d'un Pacifique vert de gris. Oui, dans la ville alanguie, lorsque les couleurs s'enfuient, défaites par le glauque crépuscule, elles se réfugient dans la musique; dans chaque radio, dans chaque échoppe, dans chaque cantine, attendant au chaud des ondes, les lendemains qui chantent.

jeudi 11 août 2011

la ville et le vide VII

Il n'y a que les mots.
Pour décrire la ville alanguie, il faudrait éructer le sang, la sueur, les larmes, la poussière, les peintures criardes. Pour la toucher du doigt, le rance, le vif, l'humide, l'invincible parfum des bougainvilliers. Celui qui s'attaque à la cité, l'effrite de ses mots mâchonnés, heurtés se sait vaincu. Culbuté par les trente mille portes et les douze mille orifices d'un organisme immortel, que le chaos des sentiments finit par rendre brouet divin. Armé d'une seule plume,immergé dans le fleuve de couleurs, d'odeurs, de peaux et de vies, l'échec est la seule échappatoire.
Cela ou la lucidité divine que d'aucuns nomment folie.
Pourtant l'errant qui s'imprègne des parfums faits myriades, des joies faites légions n'a pas d'autre choix.
Il n'y a que les mots.

mercredi 3 août 2011

la ville et les symboles V

Celui qui s'éloigne par la terre de la cité devra se débattre longtemps avant de savoir s'il a quitté ses longues rues poussiéreuses et sa nation de vendeurs effrénés. Plus il s'enfoncera dans le désert d'ocre et de gris qui sert à la ville d'écrin plus il aura l'impression de revenir sur ses pas. Les façades mangées par la mer, les regards perdus, les trottoirs habités, les lumières maladives des lampadaires dans la pénombre, tout semble se répéter et se confondre, formant un ennuyeux cauchemar.
Les panneaux mensongers et les indications autochtones et perverses conspirent afin d'empêcher la velléité d'une fuite. L'errant devra traverser chacun des voiles que la ville éparse érigera en mirages pour l'empêcher de la quitter, affronter la conspiration de miroirs absurdes et la litanie de bitume qui, de détours d'autoroute en havres minables, tentera de le retenir.
Celui qui parviendra jusqu'aux portes lointaines sans se retourner, abandonnant les hurlements de la foule, les gémissements des taxis, la chicane des bradeurs de pacotille verra le vrai désert, stérile et pensif, fuyant devant lui jusqu'à l'horizon enténébré.