jeudi 7 juin 2018

La ville et la peur IV

Il avance, erratique, s'arrête, pensif un instant, puis reprend sa sente.
Ses crissements caressent le trottoir de six pinceaux parés de soies, si semblables aux plumes d'un triste goéland confit dans le pétrole.
Sa cuirasse de chitine luit, graisseuse, sous le regard précis d'un réverbère. Ses antennes sondent, longues, trop longues, infinies.
Sa danse syncopée, son rythme saccadé, sont ignobles, hésitants, fulgurants, imprévisibles.
Le répugnant gyrovague est agile. Il sait grimper, marcher au plafond, disparaître dans l'ombre.
Va-t-il prendre la fuite, s'agripper à la jambe de pantalon, se redresser sur ses pattes arrières, trépigner le long de la main?
Le corps dévoré de frissons, on fait tomber la sentence, de la semelle de la chaussure.
Sous le pied, il remue encore, on le sent s'accrocher à sa vie si vaine. On l'écrase, il s'entête à ne pas mourir, il ne meurt pas. Sa charogne filandreuse remue, fébrile, nage à la surface du béton.
Un coup de talon de plus: tranché en deux, il se débat, puis se rend enfin.
Ils sont légion, dans la cité alanguie, fantassins de ruine grouillant dans les ruelles, sous les poubelles, friands du miel qui tombe des tables, toujours affamés. Certains, racontent les vieilles, ont la taille des rats. Au port, d'aucuns prétendent en avoir vu de plus gros.
Sous la cité alanguie, dans l'obscurité moite, humide, tiède, ils remuent, se promènent, se frôlent du bout des antennes.
Ils complotent.
Sous le béton de la ville, sous les ruisseaux immobiles des égouts, sous un monde d'ordures, loin du soleil pour toujours, dort leur mère, aux pattes comme des bras, à la cuirasse longue comme un cheval mort, aux yeux globuleux, à la faim inextinguible.
La reine des cafards. 

jeudi 15 février 2018

Ciel et Mer

Le ciel a des douceurs
impalpables
aux yeux mortels

La mer des rythmes
drus frêles
fureurs inconcevables
aux coeurs 
prisonniers

Apprenez-moi
cieux océans
Apprenez-moi
votre sérénité minérale
votre dédain parfait du temps

ma poussière m'est fardeau
mes stances plaie mortelle
je suis las d'être masque futile
lion qui rugit
tour à tour
loup qui court
vent qui souffle
et fuit

Las d'écorchures rêves allures
amours trêves 
brûlures
rassasié des sèves d'antans présents
futurs

Apprenez-moi à ignorer la chamade de mes cents coeurs
amoureux
Apprenez-moi à oublier mes cités lointaines d'encens et de verre
mes rires furieux et mes mes ailes 
apprenez-moi à l'oublier elle et elle et elle et elle

hélas ciel et mer
Pardonnez mes prières
je vous sais impuissants
car la fibre est flamme
et vibre 
ciel et mer
d'ardeurs que vos âmes inhumaines
ne pourront jamais
j'en fais le serment
par le vent qui m'emporte
me tisse et me tend
tarir de son sang fier
de licornes et chimères 
ciel et mer

Camlann

Quelle fut ta pensée
ce soir
de corbeaux criards
nu
de couronne et d'épée,
acculé au dérisoire?

Ta main abolie
ta nuque
vaincue
ton corps soumis
par le fer et la folie?

Quel visage s'étiole
perçu
dans le choeur d'agonies
de boue semée
de signes détrempés
tordus?

Quelle amère amie?

La soeur indigne
l'épouse
perdue
ou
la mère oubliée?

debout sur un monceau d'arcs
brisés
Tu attends des eaux  ta barque
ou les vers?

Débouté
Le flanc ouvert
écru
la défaite béante à chair
crûe
rose perverse éclose
le calice est impossible
illusion grandiose.
Risible.

La main gracile de l'onde
jaillit emporte
ton épée morte

Tu as failli au monde.

Roi mortel
à ton chevet de bruine
de ciel noir :
une seule et triste mine
sans espoir
ses yeux graves brillent
déçus
bourreaux de pluie
 
Roi déchu
ta table en morceaux
les tiens dispersés

manigance de magicien

Ta meilleure lame
danse danse danse
avec sa dame
(Tienne autrefois aujourd'hui rien)
ton fils fier à tes pieds
git sans lumière
percé de ta lance
ses paupières fermées

Tu as été haï.

Roi fendu
trop homme pour sa tâche
trop dieu pour l'oubli
reclus
Attends sans relâche
sur ton rocher enchanté d'éternel printemps
Rigide
le dernier crépuscule pour chevaucher le temps.

Sous ton égide et ta férule

Roi futur
Laisse-moi monter en croupe de ta défaite
fidèle écuyer de tes lies
d'ichor
maître de ton armure en miettes
ton tenace héraut d'hallalis

Car lorsque sonnera le sombre cor
A la toute fin
Moi
vêtu que d'éclats de rêves
je serai le porteur d'étendard
de qui
Vaincu
Perclus
soumis
par les tristes traits du triste hasard
la nuque roide se relève
Roi
A la toute fin
Un sourire aux lèvres face à l'ombre.
Encore.

mardi 8 décembre 2015

La ville et le labyrinthe IV

Il est une saison où la ville alanguie se vêt de pourpre. Fardée du ton des mûres écrasées, parfumée d’encens, de myhrre, elle geint, se tord les mains, en processions, tachycardie de ferveur insomniaque.
Toute l’année, des hommes, artisans, policiers, éboueurs, s’assemblent préparent débattent déblatèrent parfois, en compagnies hétérogènes dont l’axe est une figure tordue de douleur, bras ouverts, pagne sanglant, peau tannée de soleil.
Et subit, jaillit l’icône, reflet infini enjolivé d’un miraculeux pan de mur, unique survivant d’une chapelle victime des cruelles convulsions de la terre, ogresse nourricière.
Et la foi se répand dans les rues, les coeurs trois fois bénis brillent de toutes leurs diodes, les femmes austères pleureuses, les hommes endimanchés du lundi au dimanche.
Les klaxons du quotidien s’égosillent, s’arcboutent contre la tétraplégie soudaine de la vieille cité, qui s’érige figée par l’égide des humbles, se rit des sémaphores et des conventions. Devant elle les gants blancs des policiers capitulent, les képis choient de respect. La foule, toujours aveugle, toujours monumentale, toujours avide, toujours victorieuse, marche au rythme lancinant de la tradition viscérale, fleuve de génuflexions. 
Et passe le dieu des pauvres, le dieu des esclaves, le dieu doré de sagex de ceux qui travaillent du matin au soir et qui, le temps d’un mois échymose, se défont de leurs habitudes pour honorer en crue irrésistible, le seigneur des miracles, aux mains calleuses, aux pieds marqués, qui est à eux comme ils sont à lui, empathie organique, insondable.

vendredi 20 novembre 2015

La ville et les symboles VIII

Ils poussent aux coins des rues comme des champignons de sucre glacé, nappés de néons et de pyrite. Gueules tendues au ciel, parsemées d’étoiles de pacotille, aux langues de tapis rouges mités, foulées en crûs à prix barrés par les talons impénitents.
Ceux qui y goûtent, vieilles dames dignes, tristes célibataires, mères enfiévrées, solitaires de tous crins à la poche percée dès l’enfance, pullulent en essaims dépareillés, affriandés par un battage au fard de rance espérance.
Les portes franchies, les heures s’abolissent, le crépuscule est éternel, découpé en lamelles par le bruit sec des bandits manchots qui déversent le fruit béni de leurs entrailles: mânes et réclames, encore, qui font frémir des naseaux affriandés par le fumet du hasard ou du miracle.
Si l’essaim des mordus s’apprête des trente mille masques de l’espoir le plus vil, son regard est Un. Indivisible. Eternel. 
Celui du junkie au jackpot, dont l’hymne fébrile parcourt les veines de la ville alanguie:  si ce n’est cette partie, ce sera la prochaine.

mardi 18 mars 2014

Quête

SORS.

Charge ivre
pointe d'erre au coeur
trace le large
âcre fumet
crû libre
DéChIqUète
âtres
foyers
confort

SORS.

Le souffle c o u r t (tisse)
Forêts de verre
d'arbres d'acier lisse
Au bitume qui sourd
de bayous de briques
de paraboles aveugles
d'écoufles d'hélices
de métal qui meugle
de lierre électrique
des criques de pierre

pièges lacés
thabors de plastique


SORS.

Triomphant
des visages des morts
des sourires des vivants
du délire et la fortune

SORS.

Des nuits sans lune
Sans serments

sarments sémaphores
parsemant soleils de minuit
cendrés de néon à tout vent
enfants
Pèlerins de néant
Pères d'abandon
aux surins d'échos

au sein des grottes urbaines
reines de yacht
visages aphones
lois de paillettes
silhouettes de fard sans fond
danse au coeur creux de talons

pas à pas ovins
vains appâts.
 

Là-BAS.

la voix roule rue
coule mue
s'envole
ailes de rage sage
caracole
calandre sans rivage
se débat d'attendre le glas
allume
rire sauvage
hume
à tous vents épars
blizzards simouns burles
sans frontières affronts
fausses promesses
masques bâtards

Hurle enfin.

PARS.

famine de mastiquer
épaisses lueurs d'aube

d'extirper trames
( baisers drames
silences d'alcôve
sueurs soupirs
larmes et coups)
du tissu tendu des jours
tissé sec à fil court

connaître tout
crever en essayant
Tenir son rang
entre dame et fou
N'être ébloui par rien
hors l'oubli délicieux

savourer à l'envi les cieux

mûrir errer s'enfuir

Et en tout lieu
l'âme au front
Toujours
les dents serrées sur un sourire furieux
bouffer l'horizon

dimanche 9 septembre 2012

Un songe de scaphandrier


Entre deux eaux
Des poissons
voletant
autour de la tête
nuque raide 
ressac
lointain 
la lanterne veille 
le front empoissé
au pieds le plomb
aux mains le cuivre
le laiton
Du casque poli
                     e
                  v
                è
               l
le tube s'é
dans l'océan

Traverse alors le banc d'illusions de visages 

d'antans sans futur 
                                                                                                                                          sans présent
Brillants âppats.

Les algues (insidieuses convictions) s'enlacent

Pas plombé pesant comme la goutte
la déambule s'étoffe d'arrêts s'étouffe de ciseaux de rages
arrachent tout d'un 
                           certitudes
                           idées reçues
Rêves étrangers 
                       bonheurs copiés/
                                             / collés

Marcher encore.
Derrière les falaises d'ignorance sables épais de rancoeurs bois de fureur feux follets d'espérance

une
        
        Vill    attend.

Ses rues douces comme le lait 
ses femmes parées de goémon 
ses toits en nacre ses fiacres de perle
De son ciel tourbillonnant 
déferlent
monceaux d'étoiles
naufragés mélancoliques

armagnac 
boussoles 
sextants
                                                                                                                                                                                         
                                                                                                                                                                                                                                                                             .                                                                                                                                     Là-bas. 
Et j'ignore son nom.