Dans certaine petite impasse du centre ville, se dissimule, sous l'apparence benoîte d'un restaurant chinois, l'un des temples de la saveur d'une ville pourtant riche en senteurs de qualité. Ceux qui traversent la rue sous le vent seront tout de suite avertis de l'odeur de viande grillée, d'épices et de gingembre caramélisé. Dans une débauche de désordre, au milieu d'une explosion de tables d'un mauvais marbre synthétique, se tient un vieil homme qui ne parle qu'un mandarin incompréhensible. Depuis de longues années déjà, il a décidé que parler n'était pas le meilleur moyen de se faire comprendre. Lui, son langage, ce sont la friture, la cuisson, le soja. Véritable linguiste, il se fait comprendre de tous, riches, pauvres, exilés, natifs, pressés ou paresseux.
Les nuages blancs qui naissent de ses fourneaux sont de vapeur et d'huile de sésame et on dit qu'un phénix se dissimule dans l'éclat des flammes de ses nouilles sautées . Jamais aucun service d'hygiène n'est parvenu jusqu'au saint des saints, mais beaucoup sont ceux qui prétendent qu'un jour, on y a entrevu l'éclat doré des écailles d'un dragon. Parfois, le vieil homme chante, des chansons qui ne sont pas de cette terre, au rythme des échauffourées de casseroles et du grondement sourd des clients. Il fredonne les chants d'une terre qui l'a vu naître et qu'il ne reverra que les yeux clos par le songe ou la mort.
mardi 19 juillet 2011
lundi 4 juillet 2011
La ville et la peur III
Celui qui marche dans la ville alanguie doit garder patience et bien souvent courage. Ainsi lorsqu'il déambule, il appartient à une espèce fort rare et qui compte, comme toute espèce, ses prédateurs. L'ombre des masures oubliées par le temps, les ténèbres épaisses d'une cour intérieure, la pénombre opaque des arbres gauchis par le vent, tout cela est leur habitat. Marcher là,c'est risquer de voir un sourire sur un masque de misère, un rictus aux dents proéminentes et avides, dont la douleur est trop profonde, trop vivace, trop ancienne, pour être jugulée par la raison. Fuir, ou se défaire de ses possessions, car la lutte est inutile. Nul ne peut se battre contre le désespoir épaissi de rancunes et d'envie.
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